plus,mieux – Jeux idéaux, Centre d’art contemporain Les Sheds Pantin

Lambda, Ensemble de quinze sculptures grès, dimensions variables – 2022/2023 – ©RomainDarnaud

Extrait du communiqué de presse :

« Ninon Hivert modèle en creux des figures absentes, à jamais figées dans leur posture d’abandon. Ses sujets sont le plus souvent des vêtements, parfois des objets délaissés. Ecartés du vivant dans un geste, ils atterrissent comme jetés nonchalamment en des lieux insolites ; sur un bout de trottoir, un rebord de fenêtre ou au milieu d’un champ. Ces lieux qui, pour l’occasion, sont devenus les décors propices au commencement d’une narration sculpturale. Pour l’artiste, le processus créatif s’articule en deux étapes indissociables. D’abord une recherche de sujets, rencontrés au hasard de ses déplacements, dans cet antichambre de l’art qu’est le quotidien. Collectés méthodiquement dans un archivage photographique, ils font office de pallier réflexif au geste de la main. Il n’est pas question de créer du faux, mais bien de réincarner ce qui a été abandonné en donnant un « après » à ce qui n’en avait plus. Un effort de rédemption. Il peut se passer un temps infini entre l’étape de repérage préalable à l’œuvre et sa réalisation en terre. S’applique ensuite l’équivalent d’un procédé cinématographique, qui confère l’illusion du temps à des objets inertes en les raccordant par le truchement d’une posture en entre-deux, aux fantômes de leur possesseurs. Créant un arrêt sur image où le corps absent est remodelé en empreinte comme pour réactiver l’histoire inachevée de l’objet. »

 » L’ exposition plus, mieux – Jeux idéaux, au centre d’art contemporain les Sheds, aborde la thématique de l’enfance. Qui n’a pas déjà entendu dans la bouche d’un enfant le pléonasme « plus, mieux », cette surenchère pleine d’entrain qui résonne comme l’écho d’un songe ? Celui d’un terrain vague, propice aux cabanes de fortune, aux épées de bois, aux potions magiques faites de cailloux et de mauvaises herbes ou aux costumes improvisés. Une friche où cultiver un terreau fertile, celui de l’imagination.

Évoquer la friche, dans ce cas précis, n’est pas anodin puisque les Sheds, centre d’art contemporain jumelé à un point d’accueil à l’enfance, laissent encore résonner leur passé industriel. Ainsi, après l’arrêt des activités relatives à la filature Cartier-Bresson et avant l’aménagement récent du parc Diderot tout autour, le périmètre des Sheds était un terrain vague où se retrouvaient les enfants du quartier des Quatre-Chemins pour l’emplir de « et si on disait que … ». Les apprentis sorciers s’y cachaient derrière les arbres ou à l’angle des briques d’un bâtiment au toit en dents de scie, pour entonner des formules hors du temps : « 1, 2, 3, 4 …. J’arrive ».

plus, mieux, renvoie également à la notion de dépassement. Un parallèle enfantin à l’éternelle remise en question de l’artiste, puisque le travail plastique, à la manière d’une matière molle est finalement toujours trituré, malaxé, voire même disséqué comme pour mieux en extraire la substantifique moelle. L’artiste et l’enfant, placés sur un pied d’égalité, sont complices dans cette quête inassouvie de l’âme des choses. Le parcours du créateur est envisagé tel un immense territoire ludique. Baudelaire explique, dans son texte Morale du joujou, que « la facilité à contenter son imagination témoigne de la spiritualité de l’enfance dans ses conceptions artistiques. Le joujou est la première initiation de l’enfant à l’art, ou plutôt c’en est pour lui la première réalisation ». L’enfant, comme l’artiste, regarde ses jeux, les articule au gré de ses pulsions, domine son petit monde comme un surhomme, avec la main décisive de l’imaginaire.

Le môme et l’artisan feraient en quelque sorte appel à des réflexions connexes. Maître chacun d’une re-création où réécrire son scénario serait la règle et où les solutions pourraient être aussi infinies que nécessaires, découpant ainsi l’acte créatif en deux temps précis : celui d’une construction de l’imaginaire puis d’une construction avec ce dernier. Dans cette logique, l’exposition s’affirme comme une proposition ludique. Elle emprunte au jeu sa matière d’activité dans le but de produire une libre expression des talents instinctifs du public aussi bien que des artistes.

L’espace d’exposition est donc pensé ouvert et dépourvu de cimaises. Il s’agit de copier un instant précis du terrain vague. Par ce choix curatorial se dessine alors la volonté claire de ne pas modifier le sens du lieu par des artifices muséaux et d’utiliser la « bricologie » comme solution d’accrochage pour l’ériger au rang d’archétype de présentation. Ainsi, au milieu de ce paysage archétypique se déploient des idéaux. L’étymologie de ce terme renvoie aux concepts de forme et d’idée, il s’agit de traverser ce que l’esprit aura appliqué à une forme en la rendant aboutie. Par définition, idéal serait donc ce que l’on conçoit comme conforme à la perfection et qui est donné comme but ou comme norme à sa pensée ou son action et, par conséquent, un modèle parfait conçu par l’artiste. Un but inatteignable qui conduit le geste et pousse sans cesse au recommencement. L’Idéal se distingue du réel. C’est un espace de rêverie, un monde fantasmé, éclos de l’invention : un mythe. C’est par là que s’enracine la construction de l’imaginaire de l’enfant.

En psychanalyse on parle d’ailleurs d’idéal du moi comme une instance psychique relevant du symbolique, où le sujet (l’enfant) va se conformer à un modèle idéal par identification aux personnes proches. Cette notion accompagne le sujet lors du mécanisme de socialisation et participe à la formation de la personnalité. Il semble intéressant d’évoquer ici le jeu symbolique, en le rapprochant de la notion d’idéal du moi. Puisque ce type de jeu, aussi nommé jeu d’imitation, le faire semblant, consiste à reproduire des situations du réel auxquelles l’enfant tente de s’adapter afin de s’accommoder au monde vécu qui l’entoure.

Ainsi l’association Art Mercator a souhaité aborder le projet d’exposition sous la forme d’une résidence de création. Dès lors les membres fondateurs et artistes Ninon Hivert et Philippe Marcus, formant à eux deux l’entité curatoriale Jacques Bivouac, se sont emparés du sujet pour le penser dans le temps préparatoire offert par le contexte propice de la résidence. Ils ont pour l’occasion, en plus de leurs travaux respectifs, sollicité quatre autres artistes qui ont modelé le sujet à leur manière, en incorporant à leur travail l’idée de faire groupe autour d’une exposition, comme une bande de gamins. Il s’agit de se prêter au jeu en concevant des pièces spécialement pour l’exposition.

Ninon Hivert et Philippe Marcus a.k.a. Jacques Bivouac »